Page 11 - bulletin janvier 2019
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Un Port d’Envallois dans la guerre 14-18                                                                            09



                              Hommage individuel rendu à Clément DIET lors de cette cérémonie

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                              Je m’appelle Clément Diet ; je suis né le 1  décembre 1887 à Port-d’Envaux, dans la
                              Charente-Inférieure, que vous dites Maritime aujourd’hui. Je suis cultivateur à
                              Port-d’Envaux à 600 kilomètres d’ici. Port-d’Envaux est un bourg portuaire de
                              Saintonge, à 12 kilomètres de Saintes, au bord de la Charente ; le terroir est boisé et
                              ses terres, bien irriguées, sont propices à la culture et à l’élevage.
                              La commune comptait 1 219 habitants en 1911.
                              Mes parents, Guillaume et Elise, y étaient cultivateurs au hameau de la Pommeraie des
                              Gaillards, et c’est là que j’ai passé mon enfance entouré de mes quatre frères. À l’école
                              communale, j’ai acquis un bon niveau d’instruction. Je suis de petite taille, 1 mètre
       61 ; j’ai les cheveux châtains et les yeux roux. J’ai été déclaré "Bon pour le Service" que j’ai effectué en deux
       ans. Le 6 juin 1914, j’ai épousé à Port d’Envaux, Marie Suzanne, une jeune fille du bourg. Notre bonheur fut
       de courte durée car, dès la mobilisation, j’ai rejoint mon régiment, comme trois de mes frères, Fernand, Henri
       et Marcel. Mon plus jeune frère, Albert, sera incorporé le 16 décembre 1914.
              Le 6 août, mon régiment, le 6 ème  d’infanterie, quitte Saintes pour la Lorraine. Débarqués près de Toul,
       nous assouplissons nos brodequins neufs au cours de marches épuisantes. Mais les Allemands arrivent par la
       Belgique ; nous prenons le train pour la région d’Hirson. De là, nous partons à pied pour le baptême du feu.
       Les 23 et 24 août, nous menons des combats d'arrière-garde pour couvrir la retraite de nos armées. Les 29 et
       30 août, aux alentours de Guise, nous sommes de ceux qui arrêtent les Allemands. Après de rudes combats
       dans les rues d’Origny, nous nous replions sur la Marne. Le régiment tient tête aux armées ennemies et les
       repousse. Les Allemands, à leur tour, battent en retraite et nous les poursuivons, jusqu’aux rives de l’Aisne.
              Devant Craonne, nous tentons de multiples et vains assauts. Les Allemands résistent et les armées
       s’enterrent pour une guerre de tranchées avec toutes ses vicissitudes. La terre de l'Aisne est une ennemie
       terrible quand il pleut ; les tranchées se remplissent d'eau, les parois s'éboulent, la terre se délaie et forme un
       cloaque épouvantable dans lequel on s'enfonce jusqu'aux genoux. Et nous allons en goûter de ce mortier
       gluant : à Vendresse jusqu’en octobre, à Paissy, jusqu’en juin 1915, à Sillery jusqu’en août et au Bois des
       Buttes jusqu’en novembre. Ensuite, pour la première fois depuis le début de la guerre, nous sommes mis au
       repos. Le 8 avril 1915, j’ai reçu un éclat de grenade dans le genou gauche. Bien soigné, je suis rentré au dépôt
       le 25 juillet.
              En décembre 1915, nous reprenons notre guerre de taupes en Champagne pouilleuse, à la Butte du
       Mesnil. Le 15 mai 1916, alors que le 6 ème  est au repos, je suis passé au 290 ème  régiment d’infanterie de
       Châteauroux qui se trouvait dans le même secteur. En septembre 1916, mon nouveau régiment part pour la
       Somme où il arrive après le gros de la bataille engagée par les Britanniques. C’est là que j’apprends la
       naissance de ma fille Camille, le 5 décembre 1916, souvenir d’une belle permission.
              En mars 1917, le 290 ème  est désigné pour participer à l’offensive du Chemin des Dames. Nous montons
       en ligne devant Corbeny, sans participer aux assauts. En juin et juillet, nous sommes retranchés en première
       ligne à la ferme d’Hurtebise. Ensuite, nous rejoignons un secteur calme de Lorraine où je suis pourtant blessé
       à la paupière, par un éclat de grenade : c’était le 15 novembre, alors que j’étais en service commandé ; mais
       pas de quoi être évacué ! Juste, peut-être, de quoi prendre des galons de caporal que j’ai obtenus le 20 janvier
       1918.
             En février, nous partons pour le massif du Linge, sur la ligne bleue des Vosges. Le 4 juin 1918, après la
       dissolution du 290 ème  d’infanterie, je suis passé au 96 ème  qui est positionné en Alsace. J’ai été tué à l’ennemi le
       15 octobre 1918, à 1 200 mètres au nord-est de Chéry les Pouilly, en vue des bastions de la Hunding
       Stellung qui bordaient le village de Chalandry et que nous tentions de prendre d’assaut : j’avais 30 ans.
             Mon nom est gravé sur le monument de Port-d’Envaux « à ses enfants morts pour la France », juste
       au-dessous de celui de mon plus jeune frère Albert, tué à Verdun le 6 avril 1916. Mon frère aîné, Fernand,
       mobilisé comme moi au régiment de Saintes, a été gravement blessé en 1916 dans la région de Verdun par un
       éclat de torpille. Il sera pensionné pour "atrophie au mollet et raccourcissement du membre inférieur gauche,
       suite de fracture des deux os de la jambe et consolidation vicieuse par cal douloureux ». Mon frère Henri,
       mobilisé dans l’artillerie, est revenu sans blessures. Je suis inhumé au cimetière de la Désolation, près de
       Guise, sur un lieu où j’ai combattu le 29 août 1914.
             Mes parents ont perdu deux de leurs cinq fils ; mon épouse, son mari ; ma fille Camille, son père ;
       elle est pupille de la Nation…
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